Une minute interminableIDDN Certification

Disponible chez Ixcéa éditions

CHAPITRE PREMIER

C'était une soirée d’automne ! Une saison que je déteste ! Une saison qui chasse avec dédain et mépris, les belles journées d’été aux parfums de Provence, et les féeriques couchers de soleil aux couleurs incandescentes… Une saison qui annonce les longues nuits d’hiver, fraîches et interminables… Une saison exécrable avec ses soirs trop précoces où je devais sortir les poubelles sous la pluie ou dans la neige, qu’il vente ou qu’il grêle… Une saison avec ses petits matins blêmes, avec ses gelées sous la brume et ses trottoirs blanchis.

L’automne, c’est triste à en mourir, mais ce soir-là, cette ambiance pourtant morose, me comblait de joie… comme lorsque j’attendais une bonne nouvelle ! Je ne saurais expliquer pourquoi, il y a des soirs comme ça…

Il était huit heures quarante ! Juste avant le bulletin météorologique, j’avais mis l’eau du thé à bouillir, puis j’avais augmenté le chauffage. Comme d’habitude, je réfléchissais tout haut pour être sûre de n’avoir rien oublié, avant de m’étaler sur le canapé avec de quoi grignoter pour le reste de la soirée :

— Voyons, j’ai sorti les poubelles… J’ai fermé la porte de la cave, ainsi que les volets… J’ai branché le chauffage sur la position “nuit” et j’ai mis mon linge à sécher… Bien, tout est parfait !

J’ai retiré mon soutien-gorge que j’ai envoyé valdinguer sur le lit et je m’apprêtais à m’asseoir sur le canapé lorsque soudain, j’ai entendu la sonnette de l’entrée.

« Zut ! ai-je râlé, qui cela peut-il bien être, jute au moment de la météo ? »

Je me suis approchée de la porte. À travers les carreaux translucides j’apercevais une silhouette masculine, mais je n’arrivais pas à voir qui c’était. J’ai ouvert.

« Mon Dieu ! ai-je songé, c’est Jonathan Dakkah, le chevalier du deuxième ! »

— Jonathan ! Quel bon vent vous amène ?

— Mme Catherine, commença-t-il, je suis désolé de vous déranger à une heure pareille ; j’ai une mission de la plus haute importance à vous confier.

Interloquée, j’ai levé un sourcil intéressé. C’était la première fois qu’il s’adressait à moi de la sorte ! D’habitude, il était si froid, si distant, que j’en fus toute retournée.

« Y aurait-il enfin une petite place au soleil, en plein cœur de l’automne ? »

J’ai sauté sur l’occasion :

— Mon bon Jonathan, vous savez bien que vous ne me dérangez jamais… Entrez… mais entrez donc !

Pendant qu’il s’avançait jusqu’au milieu de la pièce, j’ai refermé la porte derrière lui… à clé !

— J’allais justement me préparer un thé, ai-je lancé, vous allez bien passer un petit moment avec moi ? En voulez-vous ?

— Oui, avec plaisir… merci !

À la télévision c’était la météo, et comme il avait l’air de s’y intéresser, je l’ai laissée allumée. Tandis que je m’activais dans la cuisine, j’ai engagé la conversation en élevant un peu la voix :

— Vous savez, ce n’est pas tous les jours que j’ai de la visite…

Il ne répondit pas ! Les yeux rivés sur le poste, il semblait attendre avec impatience, les températures du lendemain. Lorsque je suis arrivée avec la théière fumante, j’ai remarqué qu’il s’était installé sur la gauche du canapé, juste là où je me mettais d’habitude. J’ai tiqué :

« Et bien mon garçon, on prend ses aises ? »

Mine de rien, j’ai déposé la théière bouillante devant lui, à côté de quelques biscuits et d’une corbeille de fruits que j’avais préparés pour le film. Tout en m’asseyant à côté de lui, je l’ai observé du coin de l’œil. Il avait l’air anxieux, perturbé… presque malheureux !

« Ne t’en fais pas mon bonhomme, ai-je pensé, si tu en as besoin, je peux te consoler… Depuis le temps que je t’attends ! »

Comme il semblait complètement amorphe, j’ai tenté de le réveiller :

— Alors Jonathan, qu’avez-vous de si important à me dire ?

— Voilà, commença-t-il, hésitant, j’ai changé de travail… et…

Je l’ai coupé, histoire de lui montrer que je connaissais bien sa situation :

— Pourtant, cela faisait longtemps que vous étiez dans la même maison…

— Oui ! Enfin… disons-le, j’ai eu quelques soucis et j’ai dû quitter mon travail, mais ce n’est pas vraiment important, car j’en ai déjà trouvé un autre, et bien mieux payé !

— En voilà une bonne nouvelle ! Où est donc le problème ?

— Ce n’est pas vraiment un problème : je vais partir en formation pendant deux mois… et je ne sais pas comment faire avec les charges… les factures… enfin, avec tout ce qui peut se passer pendant mon absence.

« Bien voyons… ce n’est que ça ? »

Consternée, j’ai servi le thé. Je ne comprenais pas qu’il soit venu me voir à cette heure pour si peu, pourtant, j’ai fais mine de rien :

— Oh ! Vous n’avez aucune inquiétude à vous faire, je m’occuperai de tout, comme si c’était ma propre maison…

Il tenta de me rassurer :

— Il n’y a pas grand-chose à faire, vous savez, je vais vous régler deux ou trois mois de charges d’avance, et je vous signerai… disons cinq chèques… au cas où !

— Sans problème mon bon Jonathan, ai-je soufflé, je vous ferai même un peu de ménage. Vous savez, la poussière s’accumule vite…

— Je ne sais pas comment vous remercier !

« Moi, je sais comment… »

Nous restâmes silencieux quelques instants. Plus je l'observais, plus je me disais qu’il me cachait quelque chose. Je sentais qu’il voulait se confier mais qu’il n’osait pas. Un mystérieux dilemme attristait le fond de ses yeux qui fuyaient dès qu’ils croisaient les miens. J’ai tenté de le pousser un peu à plus d’éloquence :

— Qu’allez-vous faire comme formation ?

— Je ne sais pas vraiment, on m’a vaguement expliqué qu’on m’envoyait étudier le matériel que j’allais devoir réparer par la suite.

J’étais interloquée :

« Ce n’est tout de même pas à la dernière minute que l’on apprend une chose pareille ! »

— En réalité, s’écria-t-il comme s’il se libérait soudain, j’ai peur de partir !

— Pourquoi ?

— Et bien… en fait, il s’agit d’un stage à l’étranger.

— C’est formidable ! Vous rendez-vous compte ? Vous allez voir du pays ! Pourquoi vous faire du mouron ?

— Je n’ai jamais quitté la France de ma vie, et l’on raconte tellement de choses sur les pays étrangers. J’ai peur d’attraper une maladie ou de ne pas pouvoir revenir…

Je n’en revenais pas ! Si je ne m’étais pas retenue, je lui aurais éclaté de rire au nez.

« Tout de même, ai-je pouffé, ce n’est pas aujourd’hui que je vais apprendre que mon beau chevalier du deuxième n’est qu’une petite mauviette ! »

— Dans quel pays allez-vous ? ai-je demandé en levant ma tasse pour mieux l’observer à travers la fumée.

Il a blêmi. Du coup, je fus persuadée qu’il mentait comme il respirait. Ce que je ne comprenais pas, c’était pourquoi il était venu me raconter tout cela ce soir-là ?

« Il veut coucher avec moi ou quoi ? ai-je murmuré au risque qu’il m’entende, si ce n’est que ça, il n’a qu’à me le dire franchement ! »

Après avoir cherché en roulant des yeux pendant quelques secondes, il me répondit en devenant tout rouge :

— À Singapour !

Je me suis amusée comme une folle. J’ai ri sous cape de le voir si troublé, si ému… comme un collégien !

— Oh ! dites donc, c’est un sacré travail que vous avez trouvé ! Pour qu’on vous envoie jusque-là bas, c’est sans doute une grosse boîte…

« C’est mieux qu’un film à la télévision ! ai-je roucoulé de joie, je te remercie d’être venu me voir ; je ne pensais pas m’amuser autant ce soir ! »

Voyant qu’il ne voulait toujours pas m’en dire plus, j’ai insisté :

— C’est extraordinaire ! Vous ne vous rendez pas compte de la chance que vous avez ?

Il s’est contenté de hausser les épaules.

— J’espère que vous m’enverrez une carte postale ! Ai-je demandé.

— Écoutez, je vais vous sembler ridicule… je sais… mais, si jamais je ne revenais pas… ou, s’il m’arrivait quelque chose, j’ai laissé un testament dans le tiroir de mon bureau.

À ces mots, je fus sur le point de recracher tout le thé que je venais de boire. J’ai serré mon ventre de toutes mes forces pour ne pas pouffer de rire et je ne sais pas comment je suis arrivée à garder mon calme :

— Allons ! Jonathan, vous êtes devenu fou ?

— Catherine, j’ai si peur de partir à l’étranger !

« Ce n’est pas possible ! »

Soudain, j’ai décidé d’en avoir le cœur net. Je me suis levée et je l’ai pris dans mes bras :

— Jonathan, je ne vous connaissais pas si timoré !

Il s’est laissé aller, le plus innocemment du monde, en enfouissant complètement sa tête au creux de ma poitrine. J’étais sidérée :

« C’est bien ce que je pensais ! Et bien mes aïeux, c’est la première fois que je me fais draguer d’une manière aussi comique ! »

Quelques instants plus tard, nos lèvres se rejoignaient le plus naturellement du monde…